Des deux tribunes de militaires publiées ces dernières semaines, l’ancien ministre de la Défense (1995-1997) Charles MILLON considère que leurs auteurs ont eu raison de prendre publiquement la parole pour dénoncer le délitement de la société française. Entretien.
Par Jacques de GUILLEBON pour l’Incorrect Publié le 17 mai 2021
En tant qu’ancien ministre de la Défense, que pensez-vous de ces tribunes publiées par des militaires ? Cela vous choque-t-il ?
Je pense que les officiers, et les militaires en général, sont des citoyens comme les autres et que dans la période que nous vivons, ce sont même des citoyens plus avertis que les autres, parce qu’ils sont confrontés à des menaces, à des situations difficiles, et qu’ils peuvent donc porter un jugement beaucoup plus pointu que n’importe qui. Un militaire qui a participé à des combats en Afrique contre des islamistes radicaux, ou qui a patronné des opérations Sentinelle dans des quartiers très difficiles, a évidemment un point de vue éclairé. Il est bon qu’ils s’expriment parce qu’ils peuvent à leur tour éclairer les citoyens. La France est dans une période très difficile : ceux qui sont en charge de sa protection ont presque un devoir de parler – sauf à remettre en cause les institutions et le pouvoir politique. C’est ce qu’ont fait les signataires de la première pétition, et c’est pourquoi je ne comprends pas l’hystérie de la classe politique.
Nos responsables feraient mieux – au lieu de faire de l’ironie grinçante, comme le ministre de l’Intérieur, de proférer des menaces comme le ministre de la Défense, ou de lancer des invectives comme nombre d’autres – d’analyser la situation et d’y remédier
Pour ce qui est de la deuxième pétition, elle est la suite logique de la première, même si elle n’est hélas pas signée. Elle reflète en tout cas tout à fait la réalité, et je constate que les sondages révèlent que les trois-quarts des Français en approuvent l’analyse. Nos responsables feraient mieux – au lieu de faire de l’ironie grinçante, comme le ministre de l’Intérieur, de proférer des menaces comme le ministre de la Défense, ou de lancer des invectives comme nombre d’autres – d’analyser la situation et d’y remédier. Le constat que font les militaires sur le délitement est un constat partagé, et plutôt que de qualifier ces actes de rébellion, il faut une prise de conscience qui amènera peut-être à de bonnes décisions.
À votre avis, pourquoi ces militaires ont jugé utile de se dévoiler ainsi ?
D’abord peut-être parce que l’armée n’est pas assez considérée en France, alors que des milliers d’hommes luttent contre le radicalisme islamique en Afrique, que des milliers d’autres parcourent nos villes, nos banlieues, nos quartiers difficiles pour éviter que les tensions y augmentent. Mais une partie de l’opinion considère aujourd’hui que l’armée peut être une menace : je comprends donc que les militaires se soient émus de ce manque de considération. D’autant que concomitamment, le chef de l’État reçoit aujourd’hui le président du Rwanda, alors que deux rapports signés par des Français et un cabinet d’avocats américains essaient de faire porter la responsabilité des événements de 1994 sur l’armée française. Le grand scandale est là : que le Président et d’autres autorités françaises essaient de faire porter cette responsabilité aux troupes françaises, alors que c’est à des hommes politiques français qu’il faudrait éventuellement faire des reproches. […]
Photo © Benjamin de Diesbach pour L’Incorrect source de l’article : l’incorrect
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